etiennebru.net est le site d'Etienne Brunet (musicien)
Aujourd'hui mon oreille gauche a explosé. Je suis devenu demi-sourd en quelques heures. J'entends seulement un bruit d'enfer généré par le labyrinthe de mon cortex cérébral. Les cellules ciliées de l'oreille interne se sont courbées et ne se relèveront plus. Au bout d'une semaine le mal est irréparable.
Je suis assis à une terrasse de bistro. La nuit tombe. L'atmosphère entre chien et loup m'oppresse. Dans mon oreille gauche traversent à tout berzingue voitures, camions, trains, avions, bestiaux hurlant comme chiens galeux, chattes en chaleur et loups sauvages. Je vais becqueter au restaurant. Réflexe pour tromper la solitude, mais ça ne me plaît plus ! J'entends le bruit. Toujours le bruit !
Bruit des conversations, hurlement de rire, voix d'enclume, musique de fond et entrechoquement chaotique des assiettes. Partout le bruit, encore le bruit ! Je ne supporte plus le moindre bruit ! Ça commence dès le matin le bruit me dévore et détruit toute communication. Chaque désastre amoureux préparait l'envahissement de mon cortex par le tinnitus patibulaire. Peut-être n'ai-je jamais rien entendu à rien. Peut-être suis-je devenu sourd à force d'obstination stupide à séduire une femme qui ne m'aime pas ! L'acouphène est le tintamarre du non-amour. Toujours le bruit !
Au début de cette maladie, les nerfs de mon cerveau produisaient une sensation de déjà entendu : une sonorité semblable à la musique que je jouais dans mon orchestre, du Free Jazz Elecro Fun-K ! J'entrais souvent le signal audio de mon saxophone dans des modules électroniques pour déformer les harmoniques. La sonorité naturelle du saxophone donnait l'impression d'être grignotée par une maladie électronique. J'étais fasciné par cette dégradation du timbre transformé en ondes réfractées comme des pierres jetées dans le lac infini de l'amour impossible. Je n'imaginais pas entendre mon esthétique musicale se transformer en réalité pour envahir mes méninges et me dévorer. Musique boomerang. Boum ! Retour à l'envoyeur. Toujours le bruit !
Le tintamarre du tinnitus m'a épuisé. Je suis musicien. Je deviens sourd. Mon cerveau crée du bruit blanc et rose comme les douze notes chromatiques jouées simultanément dans le fameux accord d'Alban B. de la mort de Lulu. La dissonance finale !